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En comédie, en tragédie ou en animation, elle excelle sur tous les plans. Quel que soit le rôle qu’on lui confie, l’actrice est toujours totalement crédible. Rien d’étonnant à cela, c’est dans sa nature: Guylaine Tremblay est vraie sous toutes les coutures.

Entrevue avec Guylaine TremblayForce. C’est le mot qui m’a traversé l’esprit dès l’instant où j’ai aperçu Guylaine Tremblay dans le studio. Elle dégage une puissance tranquille et rassurante. «Petite, on disait de moi que j’étais une “vieille âme”, un “vieux génie”, dans le parler de mon Charlevoix natal. J’étais une enfant précoce.»

En fait de génie, Guylaine a incontestablement celui de nous mettre vite à l’aise! Elle n’a rien d’une diva, mais tout d’une star. Entre La Petite vie et Annie et ses hommes à la télé, Contre toute espérance (de Bernard Émond) au cinéma et Belles-sœurs (théâtre musical d’après la pièce de Michel Tremblay) sur les planches, le CV de l’actrice foisonne de temps forts. Et de prix à l’avenant, incluant d’innombrables trophées Artis décernés par un public qui l’aime d’un amour fou. Un hallucinant caméléon, voilà ce qu’elle est. Impossible de croire que la femme devant moi et la tragique Marie Lamontagne d’Unité 9 sont une seule et même personne. Avec son regard qui pétille, du haut de ses 5 pi 2 po, Guylaine, 55 ans, affiche l’énergie d’une jouvencelle! Son nouveau rôle d’animatrice de Banc public (Télé-Québec), une émission où elle aborde divers sujets de société, la ravit: «J’aime les humains et j’adore apprendre!»

Une «camomille», c’est le terme récemment utilisé par Patrick Lagacé à l’émission Deux hommes en or pour symboliser son image de fille gentille. Camomille? Je dirais plutôt espresso serré! La fougue et l’intensité qu’elle insuffle à ses personnages, les tremblements de rage contenue qui voilent parfois sa belle voix rugueuse ne s’inventent pas. Elle les porte en elle. Guylaine a appris jeune à se tenir debout.

Guylaine Trembaly, née pour être actrice

«Défendez-vous»: voilà le conseil qu’a donné un jour Aline Lavoie à ses enfants Guylaine, sept ans, et Mario, quatre ans, à leur arrivée à Qué-bec, où leur père Raynald Tremblay, ingénieur marin, entamait une nouvelle carrière de contre-maître de chantier. «Nous débarquions de Petite-Rivière-Saint-François, raconte l’aînée de la famille, deux ti-minous de campagne parachutés en ville.» Plus précisément à Vanier, un quartier populaire alors réputé rude. «La première jour-née, on s’est fait fouetter avec des cordes à danser en guise d’initiation. Maman nous a dit: “Je ne sais pas trop où nous sommes tombés, mais défendez-vous.” Le message sous-entendu, c’était “vous êtes capables”. Du coup, elle nous a fait le plus beau des cadeaux: nous donner confiance en nous.»

Vivre à Vanier jadis, c’était habiter dans la Basse-Ville. «Je fréquentais une école de la Haute-Ville où l’on plaçait les gens comme moi dans les dernières rangées des classes, présumant que, de toute façon, ces enfants-là ne feraient pas grand-chose de leur vie.» Loin de l’écraser, ce préjugé l’a galvanisée. D’autant que son avenir, elle se l’imaginait plutôt en technicolor.

«À 5 ans, j’adorais regarder la Soirée au théâtre Alcan, présentée aux Beaux Dimanches. Je voulais faire partie de ce monde-là plus tard. C’est fou!» Elle y voit et entend jouer du Michel Tremblay pour la première fois. Un vrai choc: «Jamais Tremblay ne mesurera les horizons qu’il nous a ouverts», affirme celle qui, au printemps, défendra chez Duceppe la pièce Encore une fois, si vous permettez, du célèbre dramaturge.

Il reste que, dans sa tête d’ado complexée, le théâtre est un club réservé aux belles grandes filles. Elle se dirige d’abord en éducation spécialisée. «J’ai toujours aimé aider les autres. Honnêtement, ça ne me demande pas d’effort.» Jusqu’à ce qu’un prof, en la voyant s’épanouir durant les jeux de rôles au programme, lui lance: «Coudon Guylaine, tu n’as jamais pensé à devenir comédienne?». C’est la caution qu’elle attendait.

C’est à ce moment-là qu’elle s’inscrit au Conservatoire de musique et d’art dramatique du Québec. «Je le dis sans prétention: j’étais certaine d’être née pour faire ce métier.» On n’en doute pas une seconde. «Je n’ai jamais eu de longs creux dans mon parcours, merci mon dieu!» lance-t-elle. Mais avant de décrocher enfin, en 2002, son premier rôle principal dans Annie et ses hommes – celui qui la lancera pour de bon –, a-t-elle trépigné d’impatience? «Franchement, non.»

Pas d’ambition, donc? «Oui, celle d’aller aussi loin que je peux dans mes projets. Si j’avais été médecin, j’aurais voulu en être un maudit bon. Si j’avais été femme au foyer, j’aurais voulu faire le meilleur gâteau de tout le quartier. Je suis orgueilleuse: me tromper ou me péter la gueule, je n’aime pas trop ça. Mais j’ai travaillé là- dessus…», confie-t-elle.

Guylaine Tremblay, madame tout-le-monde

La comédienne serait moins bonne que le public le lui pardonnerait. Une affection inconditionnelle dont elle mesure la valeur, sans pour autant en comprendre la raison. «J’ai cessé de m’interroger là-dessus, c’est comme ça.»

En retour, Guylaine tient tellement à demeurer accessible que c’en est presque obsessif. Par exemple, quand elle a emménagé dans son quartier actuel, elle s’est fait un point d’honneur de sortir ses poubelles en robe de chambre pour montrer au voisinage qu’elle était comme tout le monde. Élitistes s’abstenir. «J’ai du mal avec ceux qui regardent les autres de haut. On n’est pas obligé d’aimer tout le monde, mais on n’est pas obligé non plus de condamner tout le temps.»

Retenez donc que Guylaine Tremblay est comme vous et moi. Comme nous toutes. Ses petites rides d’ex-fumeuse l’agacent et le «maudit HD», qui accuse chaque trait et pli de la peau, l’emmerde: «À quoi ça sert, à part mieux suivre la rondelle au hockey?» Pour le moment, elle n’envisage pas d’intervention chirurgicale, mais… «Si on nous garantissait un risque zéro et un résultat naturel, j’y penserais peut-être.»

Pour garder la forme, elle marche beaucoup et s’entraîne. «Si tu veux éviter que tout s’écroule, il faut bouger!» Naturellement, la conversation s’engage sur l’éternel enjeu féminin du poids. «Encore hier, les actrices d’Unité 9 et moi, on se trouvait toutes tellement niaiseuses d’être toujours à cinq livres du bonheur! Sans compter qu’on subit un double discours. D’un côté, ton entourage te dit: “Arrête, tu vas te rendre malade!” mais de l’autre, les étrangers s’extasient sur ta belle silhouette! On est-tu assez écœurées de tout ça? On peut-tu boire notre verre de vin sans penser aux calories?»

Des valeurs à transmettre

Mère de deux filles, comment négocie-t-elle avec ces diktats concernant l’apparence? Dès qu’il est question de Juliane, 18 ans, et de Marie-Ange, 15 ans, toutes deux originaires de Taïwan, la voix de Guylaine se fait plus douce. «Ah, mes filles… Je leur parle d’alimentation en termes de santé, jamais de poids. Une ado, c’est si fragile!»

Cela dit, Guylaine espère avant tout faire comprendre à ses enfants que l’important est ailleurs. Dans la tête et dans le cœur. Être courageuse, respecter et se faire respecter, voilà l’essentiel. Savoir s’indigner aussi. «Si une situation leur semble inacceptable, qu’elles la dé-noncent! Mais intelligemment, avec des arguments bien étayés. À la façon dont elles discutent parfois mes consignes, je me n’inquiète pas: elles ont compris le message!» (rires)

Pour l’épauler à la maison, Christian (Lebel) est là. Policier à la Sûreté du Québec, son chum – et fiancé depuis peu – est lui aussi père de deux filles d’origine asiatique. «Nous formons une famille recomposée, mais ses filles n’habitent pas chez nous à temps plein. Si ça arrivait un jour et que ça créait des tensions, la vie en jumelé me semblerait une bonne solution. Mais pour l’instant, tout baigne», affirme Guylaine. «Christian m’a déjà dit: “Tu n’es pas parfaite, mais tu es parfaite pour moi.” Qu’est-ce que je peux vouloir de plus?»

Avant de le connaître, elle a vécu cinq ans de célibat. «Je voulais un chum bien dans sa peau et qui n’allait surtout pas se dire: “Incroyable! Je sors avec Guylaine Tremblay!”» Elle l’a trouvé. Non sans mal. «À l’époque, je disais à la blague: “Si j’étais pauvre et nounoune, je pognerais plus. Une fille intelligente et autonome financièrement, c’est un répulsif à gars!” Je le pense toujours.»

Guylaine Tremblay, ancrée dans le présent

Féministe, Guylaine? «La question ne se pose même pas.» Engagée politiquement? Aussi. «Je le suis en tout respect de l’opinion des autres.

On peut choisir des routes différentes mais, en fin de compte, on veut tous la même chose: aimer et être aimé.» Idéaliste, alors? «Totalement.»

Et plus optimiste que jamais. «Jeune, j’étais pessimiste. J’avais l’impression d’exister davantage en étant noire, intense. Avec l’âge, on s’allège, on choisit ses combats!» Si elle avait compris plus tôt tout ce qu’elle sait maintenant, aurait-elle agi autrement? «Je ne me pose jamais ce genre de question. Ce qui est fait est fait.»

Macérer dans le passé n’est pas sa tasse de thé. Se projeter dans le futur non plus. «Mon cheminement de carrière, je m’en fous un peu. Suivre un plan de match trop rigide, c’est risquer de passer à côté de trucs fabuleux. La vie peut tellement nous surprendre!»

Vivre au présent ne l’empêche pas de voir le temps défiler… trop vite. «Le drame, ce n’est pas les rides, c’est de s’approcher de la fin. La nôtre et celle de ceux qu’on aime», dit celle qui a signé la préface de l’ouvrage Les acteurs ne savent pas mourir, du Dr Alain Vadeboncœur, urgentologue et auteur. «La mort porte une robe cheap en Fortrel […], elle fume des Mark Ten […]. Elle vient nous chercher, parce que c’est la seule job qu’elle a pu se trouver, personne d’autre n’en voulait», y écrit-elle avec lucidité.

Écrire pour vrai, la comédienne adorerait ça. «Sauf que je me dis: “Auteure, moi? Franche-ment!” Mais un jour, je vais peut-être oser.» Elle osera. Parce que la peur est sa meilleure alliée. «Quand on a peur, il faut y aller quand même. Entendre des gens de 45 ou 50 ans déclarer: “Ce n’est plus pour moi, j’ai passé l’âge!”, je trouve ça désastreux. Tu en as envie? Alors go, vas-y! Vaincre ses frayeurs vaut n’importe quel lifting! Quand je surmonte une peur, j’entends une voix en moi qui dit: “Yes, Guylaine! Bravo! Tu es encore pleine de vie.”

Première impression confirmée: cette femme est une force de la nature. Mais elle est plus que cela. Guylaine Tremblay est quelqu’un de bien. Quelqu’un de vraiment bien.

Suivre Guylaine Tremblay

Guylaine Tremblay joue le rôle de Marie Lamontagne dans la série Unité 9, diffusée sur ICI Radio-Canada, et elle anime Banc public à Télé-Québec.

PHOTO: MAXYME G. DELISLE / ASSISTANT-PHOTOGRAPHE: RENAUD LAFRENIÈRE / STYLISME IZABEL SOUCY (DULCEDO) / MISE EN BEAUTÉ: FÉLICIE HUBERT (JUDY INC.), AVEC LES PRODUITS MAC

Vous pouvez consulter la version intégrale de cet article dans le premier numéro du Magazine VÉRO, à la page 27, avec le titre « Guylaine Tremblay: Franche et plus assumée que jamais! ». Le magazine est disponible en kiosque et sur l’application

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